En plein automne 1793, alors que la Révolution française subit l’une de ses crises les plus violentes, la ville de Nantes se transforme en un théâtre d’horreur méconnu, témoin d’un massacre collectif sur le fleuve Loire. Comment expliquer que des milliers de personnes – hommes, femmes, enfants, prêtres – aient été condamnées à une mort lente en étant noyées à grande échelle ? Cet épisode, longtemps tus ou minimisés, s’inscrit dans la spirale sanglante de la guerre de Vendée, un conflit civil où se mêlent peur, politique et brutalité aveugle. Le nom de Jean-Baptiste Carrier, responsable de ces noyades, reste associé à l’une des pages les plus sombres de l’histoire nantaise et révolutionnaire.
Contexte historique des noyades de Nantes : répression, siège et guerre civile
Nous sommes à Nantes, dans le département de la Loire-Inférieure, entre novembre 1793 et janvier 1794. La Révolution française est à un tournant. Les insurgés royalistes et paysans vendéens défient l’autorité républicaine, provoquant une guerre civile dans l’Ouest de la France. La République, sous la direction du Comité de salut public et Robespierre, exige une réponse implacable. La ville de Nantes, gouvernée depuis le 16 octobre 1793 par Jean-Baptiste Carrier, chargé de mater la révolte, voit affluer des milliers de prisonniers capturés dans les combats ou désignés comme ennemis de l’État.
Parmi ces détenus, des combattants armés mais aussi des civils, prêtres réfractaires refusant la Constitution civile du clergé, femmes et enfants. Les prisons et couvents transformés en prisons sont saturés, les problèmes de ravitaillement et d’épidémie rendent la situation explosive. Carrier et les autorités locales sont confrontés à un dilemme insurmontable : comment gérer cette masse de captifs sans désorganiser la ville et compromettre l’effort militaire ?
Les raisons derrière le choix funeste de la noyade collective
Carrier, jeune homme de 37 ans, voit dans les noyades une solution radicale et efficace. Ce mode d’exécution, qu’il appelle la « déportation verticale », consiste à noyer par lots des centaines de prisonniers attachés deux par deux, dans des bateaux coulés au milieu de la Loire. Cette méthode est d’abord expérimentée lors de la nuit du 16 au 17 novembre 1793 avec les prêtres réfractaires. La rapidité du procédé répond aux exigences d’une justice expéditive, où l’économie de moyens dépasse toute autre considération.
La peur de l’épidémie joue un rôle majeur. Le typhus et d’autres maladies sévissent parmi les détenus, et les autorités craignent que ces derniers ne contaminent la population nantaise. Déplacer les prisonniers dans des navires ou les isoler sur des pontons flottants participe aussi d’une volonté d’éviter la contagion. Mais cette peur de la maladie se double rapidement d’une volonté d’élimination massive, reflétant la radicalisation de la Terreur.
- Crainte du typhus et des épidémies en ville
- Surcharge des prisons et difficulté d’approvisionnement
- Commande politique du Comité de salut public pour écraser la révolte
- Volonté de justice expéditive sans procès longs
Un inventaire macabre des noyades et des procédés employés
Le massacre se déroule en plusieurs campagnes. La première voit la noyade d’environ 90 prêtres, souvent attachés deux par deux, dans la nuit du 16-17 novembre 1793. Parmi eux, l’abbé Landeau est le seul survivant connu, un nageur exceptionnel qui parvient à gagner la rive en dépit de ses liens. La deuxième noyade concerne d’autres religieux venus d’Angers, qui cette fois disparaissent sans survivant.
Une troisième noyade appelée « du Bouffay » touche 129 détenus dans la nuit du 14-15 décembre 1793. Menée souvent par des représentants de la compagnie révolutionnaire Marat, ces exécutions sont marquées par l’ivresse et le chaos ; les victimes choisies parfois au hasard, attachées avec leurs biens dépouillés, coulées dans des sapines. Au fil des semaines, d’autres noyades massives baptisées « les noyades des galiotes » voient partir des paquebots hollandais transformés en cercueils flottants liés aux prisons sur les quais nantais.
| Date | Lieu | Victimes | Nombre estimé |
|---|---|---|---|
| 16-17 novembre 1793 | Loire, près de Nantes | Prêtres réfractaires | ~90 |
| 14-15 décembre 1793 | Prison du Bouffay | Détenus variés | ~129 |
| Décembre 1793 – Janvier 1794 | Galiotes au port de Nantes | Hommes, femmes, enfants | ~1800 à 4800 |
| 27 février 1794 | Baie de Bourgneuf | Divers | 41 |
- Processus brutal et systématique de déshumanisation : dépouillement des prisonniers
- Exécutions souvent menées la nuit pour échapper à la vue publique
- Victimes mêlées, sans distinction d’âge ou de sexe
- Corps souvent repêchés ou rejetés sur les berges, alimentant l’horreur locale
Les enjeux humains et politiques derrière les noyades de Nantes
Il ne s’agit pas d’une simple exécution ordinaire mais d’un mécanisme de guerre conçu pour écraser une rébellion avec son cortège de peur et de terreur. Carrier et ses complices agissent sous l’autorité de la Convention nationale, dans un climat où la loyauté à la République se négocie avec des vies humaines. Car ici, justice rime avec élimination, et la ligne entre légalité et massacre est volontairement floue.
Ces noyades reflètent aussi la brutalité d’une Terreur qui se radicalise. La République cherche à annihiler toute opposition, réelle ou supposée, y compris au prix d’atteintes graves aux droits et à la dignité humaine. La peur de voir la contagion d’une révolte royaliste s’étendre ailleurs justifie l’emploi de moyens extrêmes.
- Élimination politique des « brigands » considérés comme ennemis de la Révolution
- Usage de la Terreur pour affirmer un contrôle absolu sur les territoires insurgés
- Déshumanisation des victimes pour faciliter leur extermination de masse
- Instrumentalisation de la peur d’épidémie pour justifier des massacres
Échos de 1793 dans la mémoire et le patrimoine nantais aujourd’hui
Les souvenirs de ces noyades hantent toujours la conscience collective nantaise. De nombreux documents d’archives et témoignages gravent ces événements dans une mémoire complexe, mêlant honte, réflexion et apprentissage. Chaque année, la Mémoire vendéenne rend hommage aux Victimes de Nantes, tandis que plusieurs espaces – notamment dans le centre-ville et au bord de la Loire – rappellent la Tragédie révolutionnaire perpétrée.
Dans un contexte de quête mondiale de justice et de reconnaissance des crimes d’État, l’histoire des noyades invite à s’interroger sur le poids des violences extrêmes dans les conflits idéologiques. À l’heure où le monde 2025 explore encore comment les sociétés peuvent surmonter leurs fractures, le souvenir de Nantes éclaire la fragilité des libertés face aux excès du pouvoir.
- Manifestations commémoratives organisées par des associations de mémoire
- Travaux historiques renouvelés publiés pour approfondir la Justice et mémoire
- Visites guidées et expositions dans les musées locaux mettant en lumière ce passé sombre
- Débats autour de la place de la Terreur dans l’histoire de France
À cet égard, la documentation et les conférences permettent de dépasser les mythes, comme ceux des « mariages républicains » ou des noyades systématiques d’enfants, qui ont longtemps déformé la réalité historique. Elles favorisent une approche équilibrée du sujet, fondée sur des sources diverses allant des archives judiciaires aux récits de témoins, parfois très critiques envers l’époque révolutionnaire.
Souvenirs et lectures autour de la guerre de Vendée aujourd’hui
- Importance de revisiter les événements avec rigueur pour éviter la déformation idéologique
- Compréhension des mécanismes de guerre civile dans les sociétés modernes
- Reconnaissance des victimes oubliées et anonymes de conflits internes
- Dialogue entre historiens, équipes pédagogiques, et acteurs locaux pour nourrir la transmission