Déclaration
de Louis XVI à tous les Français, à sa
sortie de Paris
Tant que le Roi a pu espérer voir renaître
l'ordre et le bonheur du royaume par les moyens
employés par l'Assemblée nationale, et par sa
résidence auprès de cette Assemblée
dans la capitale du Royaume, aucun sacrifice personnel ne
lui a coûté ; il n'aurait pas même
argué de la nullité dont le défaut
absolu de liberté entache toutes les démarches
qu'il a faites depuis le mois d'octobre 1789, si cet espoir
eût été rempli. Mais aujourd'hui que la
seule récompense de tant de sacrifices est de voir la
destruction de la royauté, de voir tous les pouvoirs
méconnus, les propriétés violés,
la sûreté des personnes mise partout en danger,
les crimes rester impunis, et une anarchie complète
s'établir au-dessus des lois, sans que l'apparence
d'autorité que lui donne la nouvelle Constitution
soit suffisante pour réparer un seul des maux qui
affligent le royaume, le Roi, après avoir
solennellement protesté contre tous les actes
émanés de lui pendant sa captivité,
croit devoir mettre sous les yeux des Français et de
tout l'Univers le tableau de sa conduite, et celui du
Gouvernement qui s'est établi dans le
royaume.
On a vu Sa
Majesté, au mois de juillet 1789, pour écarter
tout sujet de défiance, renvoyer les troupes qu'elle
n'avait appelées auprès de sa personne
qu'après que les étincelles de révolte
s'étaient déjà manifestées dans
Paris et dans le régiment même de ses gardes.
Le Roi, fort de sa conscience et de la droiture de ses
intentions, n'a pas craint de venir seul parmi les citoyens
armés de la Capitale.
Au mois d'octobre de la
même année, le Roi, prévenu depuis
longtemps des mouvements que les factieux cherchaient
à exciter, dans la journée du 5 fut averti
assez à temps pour pouvoir se retirer où il
eût voulu ; mais il craignit qu'on ne se servit
de cette démarche pour allumer la guerre civile, et
il aima mieux se sacrifier personnellement, et ce qui
était plus déchirant pour son cur,
mettre en danger la vie des personnes qui lui sont le plus
chères. Tout le monde sait les
événements de la nuit du 6 octobre, et
l'impunité qui les couvre depuis près de deux
ans. Dieu seul a empêché l'exécution des
plus grands crimes, et a détourné de la nation
française une tache qui aurait été
ineffaçable.
Le Roi, cédant
au vu manifesté par l'armée des
Parisiens, vint s'établir avec sa famille au
château des Tuileries. Il y avait plus de cent ans que
les Rois n'y avaient fait de résidence habituelle,
excepté dans la minorité de Louis XV. Rien
n'était prêt pour recevoir le Roi, et la
disposition des anciens appartements est bien loin de
procurer les commodités auxquelles Sa Majesté
était accoutumée dans les autres maisons
Royales, et dont tout particulier qui a de l'aisance peut
jouir. Malgré la contrainte qui avait
été apportée, et les
incommodités de tout genre qui suivaient le
changement de séjour du Roi, fidèle au
système de sacrifice que Sa Majesté
s'était fait pour procurer la tranquillité
publique, elle crut, dès le lendemain de son
arrivée à Paris, devoir rassurer les provinces
sur son séjour dans la Capitale, et inviter
l'Assemblée à se rapprocher de lui, en venant
continuer ses travaux dans le même
ville.
Mais un sacrifice plus
pénible était réservé au
cur de Sa Majesté ; il fallut qu'elle
éloignât d'elle les gardes du corps de la
fidélité desquels elle venait d'avoir une
preuve bien éclatante dans la funeste matinée
du 6 ; deux avaient péri victimes de leur
attachement au Roi et à sa famille, et plusieurs
autres blessés grièvement en exécutant
strictement les ordres du Roi qui leur avait défendu
de tirer sur la multitude égarée. L'art des
factieux a été bien grand pour faire envisager
sous des couleurs si noires une troupe aussi fidèle,
et qui venait de mettre le comble à la bonne conduite
qu'elle avait toujours tenue. Mais ce n'était pas
tant contre les gardes du corps que leur intention
était dirigée, c'était contre le Roi
lui-même. On voulait l'isoler entièrement en le
privant du service de ses gardes du corps dont on n'avait
pas pu égarer les esprits, comme on avait
réussi auprès de ceux du régiment des
Gardes Françaises qui, peu de temps auparavant,
était le modèle de
l'armée.
C'est aux soldats de ce
même régiment, devenu troupe soldée par
la ville de Paris, et aux Gardes Nationaux volontaires de
cette même ville, que la garde du Roi a
été confiée. Ces troupes sont
entièrement sous les ordres de la municipalité
de Paris, dont le commandant général
relève, et le Roi s'est vu par là prisonnier
dans ses propres Etats ; car comment peut-on appeler
autrement l'état d'un Roi qui ne commande à sa
Garde que pour les choses de parade, qui ne nomme à
aucune des places, et qui même est obligé de se
voir entouré de plusieurs personnes dont il
connaît les mauvaises intentions pour lui et pour sa
famille ?
Ce n'est pas pour
inculper la Garde Nationale parisienne et les troupes du
centre, c'est pour faire connaître l'exacte
vérité que le Roi relève ces
faits ; et en la faisant connaître, il aime
à rendre justice au zèle pour le bon ordre et
à l'attachement qu'en général cette
troupe lui a montrés pour sa personne, lorsque les
esprits ont été laissés à
eux-mêmes, et qu'ils n'ont pas été
égarés par les clameurs et les mensonges des
factieux.
Mais plus le Roi a fait
des sacrifices pour le bonheur de ses peuples, plus les
factieux ont travaillé pour qu'ils en
méconnussent le prix, et présenter la
royauté sous les couleurs les plus fausses et les
plus odieuses.
La convocation des
États Généraux, le doublement des
députés du Tiers État, les peines que
le Roi a prises pour aplanir toutes les difficultés
qui pouvaient retarder l'assemblée des États
Généraux, et celles qui s'étaient
élevées depuis leur ouverture ; tous les
retranchements que le Roi avait faits sur sa dépense
personnelle, tous les sacrifices qu'il a faits à ses
peuples dans la séance du 23 juin, enfin la
réunion des Ordres, opérée par la
manifestation du vu du Roi, mesure que Sa
Majesté jugea alors indispensable pour
l'activité des États
Généraux : tous ses soins, toutes ses
peines, toute sa générosité, tout son
dévouement pour son peuple, tout a été
méconnu, tout a été
dénaturé.
Lorsque les
États Généraux s'étant
donnés le nom d'Assemblée nationale, ont
commencé à s'occuper de la Constitution du
royaume, qu'on se rappelle les mémoires que les
factieux ont eu l'adresse de faire venir de plusieurs
provinces, et les mouvements de Paris, pour faire manquer
les députés à une des principales
clauses portée dans tous leurs cahiers, qui portait
que &emdash; la confection des lois se ferait de concert
avec le Roi &emdash;. Au mépris de cette clause
l'Assemblée a mis le Roi tout à fait hors de
la Constitution en lui refusant le droit d'accorder ou de
refuser sa sanction aux articles qu'elle regarde comme
constitutionnels, en se réservant le droit de ranger
dans cette classe tous ceux qu'elle juge à propos, et
en restreignant sur ceux purement législatifs, la
prérogative royale à un droit de suspension
jusqu'à la troisième législature, droit
purement illusoire, comme tant d'exemples ne le prouvent que
trop.
Que reste-t-il au Roi
autre chose que le vain simulacre de la
royauté ? On lui a donné vingt-cinq
millions pour sa Liste civile ; mais la splendeur de la
Maison qu'il doit entretenir pour faire honneur à la
dignité de la Couronne de France, et les charges
qu'on a rejetées dessus, même depuis
l'époque où ces fonds ont été
réglés, doivent en absorber la
totalité. On lui a laissé l'usufruit de
quelques-uns des domaines de la Couronne, avec plusieurs
formes gênantes pour leur jouissance. Ces domaines ne
sont qu'une petite partie de ceux que les Rois ont
possédé de toute ancienneté, ou des
patrimoines des ancêtres de Sa Majesté qu'ils
ont réunis à la Couronne. On ne craint pas
d'avancer que si tous ces objets étaient
réunis, ils dépasseraient de beaucoup les
sommes allouées pour l'entretien du Roi et de sa
famille, et qu'alors il n'en couûterait rien au peuple
pour cette partie.
"Une remarque qui
coûte à faire au Roi, est l'attention qu'on a
eue de séparer, dans tous les arrangements sur la
finance et toutes les autres parties, les services rendus au
Roi personnellement, ou à l'Etat, comme si ces objets
n'étaient pas vraiment inséparables, et que
les services rendus à la personne du Roi ne
l'étaient pas à
l'Etat.
Qu'on examine ensuite
les diverses parties du
gouvernement :
LA JUSTICE. Le Roi n'a
aucune participation à la confection des lois, il a
le simple droit d'empêcher jusqu'à la
troisième législature sur les objets qui ne
sont pas réputés constitutionnels, et celui de
prier l'Assemblée nationale de s'occuper de tel ou
tel objet, sans avoir le droit d'en faire la proposition
formelle. La Justice se rend au nom du Roi, les provisions
des juges sont expédiées par lui, mais ce
n'est qu'une affaire absolument de forme, et le Roi a
seulement la nomination des commissaires du Roi, places
nouvellement créées qui n'ont qu'une partie
des attributions des anciens procureurs
généraux, et sont seulement destinés
à faire maintenir l'exécution des
formes : toute la partie publique est dévolue
à un autre officier de justice. Ces places de
commissaires sont à vie et non révocables,
pendant que l'exercice de celles de juges ne doit durer que
six années. Un des derniers décrets de
l'Assemblée vient de priver le Roi d'une des plus
belles prérogatives attachées partout à
la Royauté : celle de faire grâce et de
commuer les peines. Quelques parfaites que soient les lois,
il est impossible qu'elles prévoient tous les
cas ; et ce sera alors les jurés qui auront
véritablemnt le droit de faire grâce, en
appliquant suivant leur volonté le sens de la loi,
quoique les apparences paraissent contraires. D'ailleurs
combien cette disposition ne diminue-t-elle pas la
Majesté Royale aux yeux des peuples, étant
accoutumés depuis si longtemps à recourir au
Roi dans leurs besoins et dans leurs peines, et à
voir en lui le père commun qui pouvait soulager leurs
afflictions !
L'ADMINISTRATION
INTÉRIEURE. Elle est tout entière dans les
mains des départements, des districts et des
municipalités, ressorts trop multipliés qui
nuisent au mouvement de la machine, et qui souvent peuvent
se croiser. Tous ces corps sont élus par le pleuple
et ne ressortissent du gouvernement, d'après les
décrets, que pour leur exécution et celle des
ordres particuliers qui en sont la suite. D'un
côté ils n'ont aucune grâce à en
attendre, et de l'autre les manières de punir ou de
réprimer leurs fautes, comme elles sont
établies par les décrets, ont des formes si
compliquées qu'il faudrait des cas bien
extraordinaires pour pouvoir s'en servir, ce qui
réduit à bien peu de chose la surveillance que
les ministres doivent avoir sur eux. Ces corps ont
d'ailleurs acquis peu de force et de considération,
et les Sociétés des Amis de la Constitution
qui ne sont pas responsables, se trouvent bien plus fortes
qu'eux, et par là l'action du gouvernement devient
nulle. Depuis leur établissement, on a vu plusieurs
exemples que, quelque bonne volonté qu'ils eussent
pour maintenir le bon ordre, ils n'ont pas osé se
servir des moyens que la loi leur donnait, par la crainte du
peuple poussé par d'autres
intigations.
Les corps
électoraux, quoiqu'ils n'aient aucune action, et
soient restreints aux élections, ont une force
réelle par leur masse, par leur durée
biennale, et par la crainte naturelle aux hommes, et surtout
à ceux qui n'ont pas d'état fixe, de
déplaire à ceux qui peuvent servir ou
nuire.
La disposition des
forces militaires est, par les décrets, dans la main
du Roi. Il a été déclaré chef
suprême de l'Armée et de la Marine. Mais tout
le travail de formation de ces deux armes a
été fait par les Comités de
l'Assemblée sans la participation du Roi ; tout,
jusqu'au moindre réglement de discipline, a
été fait par eux ; et s'il reste au Roi
le tiers ou le quart des nominations, suivant les occasions,
ce droit devient à peu près illusoire par les
obstacles et les contrariétés sans nombre que
chacun se permet contre les choix du Roi. On l'a vu
être obligé de refaire tout le travail des
officiers généraux de l'Armée, parce
que ces choix déplaisaient aux Clubs ; en
cédant ainsi, Sa Majesté n'a pas voulu
sacrifier d'honnêtes et braves militaires, et les
exposer aux violences qu'on aurait sûrement
exercées contre eux, comme on n'en a vu que de trop
fâcheux exemples. Les Clubs et les corps
administratifs se mêlent des détails
intérieurs des troupes qui doivent être
absolument étrangers même à ces
derniers, n'ayant que le droit de requérir la force
publique lorsqu'ils pensent qu'il y a lieu à
l'employer. Ils se sont servis de ce droit quelquefois
même pour contrarier les dispositions du gouvernement
sur la distribution des troupes, de manière qu'il est
arrivé plusieurs fois qu'elles ne se trouvaient pas
où elles devaient être. Ce n'est qu'aux Clubs
qu'on doit attribuer l'esprit de révolte contre les
officiers et la discipline militaire qui se répand
dans beaucoup de régiments, et qui, si on n'y met bon
ordre efficacement, sera la destruction de l'Armée.
Que devient une armée quand elle n'a plus ni chefs ni
discipline ? Au lieu d'être la force et la
sauvegarde d'un Etat, elle en devient alors la terreur et le
fléau. Combien les soldats français, quand ils
auront les yeux dessillés, ne rougiront-ils pas de
leur conduite, et ne prendront-ils pas en horreur ceux qui
ont perverti le bon esprit qui régnait dans
l'Armée et la Marine françaises ?
Funestes dispositions que celles qui ont encouragé
les soldats et les marins à fréquenter les
Clubs ! Le Roi a toujours pensé que la loi doit
être égale pour tous ; les officiers qui
sont dans leur tort doivent être punis, mais ils
doivent l'être, comme les subalternes, suivant les
dispositions établies par les lois et
règlements. Toutes les portes doivent être
ouvertes pour que le mérite se montre et puisse
avancer ; tout le bien-être qu'on peut donner aux
soldats est juste et nécessaire ; mais il ne
peut pas y avoir d'armée sans officiers, et il n'y en
aura jamais tant que les soldats se croiront en droit de
juger la conduite de leurs chefs.
AFFAIRES
ÉTRANGÈRES. La nomination aux places de
ministres dans les Cours étrangères a
été réservée au Roi, ainsi que
la conduite des négociations ; mais la
liberté du Roi pour ces choix est aussi nulle que
pour ceux des officiers de l'Armée ; on en a vu
l'exemple à la dernière nomination. La
révision et confirmation des traités, que
s'est réservé l'Assemblée nationale, et
la nomination d'un Comité diplomatique,
détruit (sic) absolument la seconde disposition. Le
droit de faire la guerre ne serait qu'un droit illusoire,
parce qu'il faudrait être insensé pour croire
qu'un roi qui n'est ni ne veut être despote,
allât, de but en blanc, attaquer un autre royaume
lorsque le vu de la nation s'y opposerait et qu'elle
n'accorderait aucun subside pour la soutenir. Mais le droit
de faire la paix est d'un tout autre genre. Le Roi, qui ne
fait qu'un avec la nation, qui ne peut avoir d'autre
intérêt que le sien, connaît ses besoins
et ses ressources, et ne craint pas alors de prendre les
engagements qui lui paraissent propres à assurer son
bonheur et sa tranquilité. Mais quand il faudra que
les conventions subissent la révision et la
confirmation de l'Assemblée nationale, aucune
puissance étrangère ne voudra prendre des
engagements qui peuvent être rompus par d'autres que
par celui avec qui elle contracte ; et alors, tous les
pouvoirs se concentrent dans cette même
Assemblée. D'ailleurs, quelque franchise qu'on mette
dans les négociations, est-il possible d'en confier
le secret à une Assemblée dont les
délibérations sont nécessairement
publiques !
FINANCES. Le Roi avait
déclaré, bien avant la convocation des
États Généraux, qu'il reconnaissait
dans les Assemblées de la nation le droit d'accorder
des subsides, et qu'il ne voulait plus imposer les peuples
sans leur consentement. Tous les cahiers des
députés aux États
Généraux s'étaient accordés
à mettre le rétablissement des finances au
premier rang des objets dont cette Assemblée devait
s'occuper ; quelques-uns y avaient mis des restrictions
pour des articles à faire décider
préalablement. Le Roi a levé les
difficultés que ces restrictions auraient pu
occasionner, en allant au-devant lui-même et
accordant, dans la séance du 23 juin, tout ce qui
avait été désiré. Le 4
février 1790, le Roi a pressé
l'Assemblée de s'occuper efficacement d'un objet si
important ; elle ne s'en est occupé que tard et
d'une manière qui peut paraître imparfaite. Il
n'y a point encore de tableau exactement fait des recettes
et des dépenses, et des ressources qui peuvent servir
à combler le déficit. On s'est laissé
aller à des calculs hypothétiques.
L'Assemblée s'est pressée de détruire
plusieurs impôts dont la lourdeur, à la
vérité, pesait beaucoup sur le peuple, mais
qui donnaient des ressources assurées ; elle les
a remplacés par un impôt presque unique dont la
levée exacte sera peut-être très
difficile. Les contributions ordinaires sont à
présent très arrièrées, et la
ressource extraordinaire des douze premiers millions
d'assignats est déjà presque consommée.
Les dépenses des départements de la Guerre et
de la Marine, au lieu d'être diminuées, sont
augmentées, sans y comprendre celles que des
armements nécessaires ont occasionnées dans la
dernière année. Pour l'administration de ce
département, les rouages ont été fort
multipliés, en en confiant les recettes aux
administrations de districts. Le Roi qui le premier n'avait
pas craint de rendre publics les comptes de son
administration des finances, et avait montré la
volonté que les comptes publics fussent
établis comme une règle du gouvernement, a
été rendu, si cela est possible, encore plus
étranger à ce département qu'aux
autres ; et les préventions, les jalousies, et
les récriminations contre le gouvernement ont
été plus répandues encore sur cet
objet. Le règlement des fonds, le recouvrement des
impositions, la répartition entre les
départements, les récompenses pour services
rendus, tout a été ôté à
l'inspection du Roi, et il ne lui reste que quelques
stériles nominations, et pas même la
distribution de quelques gratifications à donner aux
indigents. Le Roi connaît les difficultés de
cette administration, et s'il était possible que la
machine du gouvernement pût aller sans sa surveillance
directe sur la gestion des finances, il ne regretterait que
de ne pouvoir plus travailler par lui-même à
établir un ordre qui pût faire parvenir
à la diminution des impositions &emdash; objet qu'on
sait que Sa Majesté a toujours vivement
désiré, et qu'elle eût pu effectuer sans
les dépenses de la dernière guerre &emdash;,
et de ne plus avoir la distribution des secours pour le
soulagment des malheureux.
Enfin par les
décrets le Roi est déclaré chef
suprême de l'administration du royaume ; d'autres
décrets subséquents ont réglé
l'organisation du ministère, de manière que le
Roi, que cela doit regarder plus directement, ne peut
pourtant y rien changer sans décision de
l'Assemblée. Le système des chefs du parti
dominant a été si bien suivi, de jeter une
telle méfiance sur tous les agents du gouvernement,
qu'il devient presque impossible aujourd'hui de remplir les
places de l'administration. Tout gouvernement ne peut pas
marcher ni subsister sans une confiance réciproque
entre les administrateurs et les administrés, et les
derniers règlements proposés à
l'Assemblée nationale sur les peines à
infliger aux ministres ou aux agents du pouvoir
exécutif qui seraient prévaricateurs, ou
seraient jugés avoir dépassé les
limites de leur puissance, doivent faire naître toutes
sortes d'inquiétudes, &emdash; ces dispositions
pénales s'étendent même jusqu'aux
subalternes, ce qui détruit toute subordination, les
inférieurs ne devant jamais juger les ordres de leurs
supérieurs qui sont responsables de ce qu'ils
ordonnent &emdash;. Ces règlements, par la
multiplicité des précautions et des genres de
délits qui y sont indiqués, ne tendent
qu'à inspirer de la méfiance au lieu de la
confiance qui serait
nécessaire.
Cette forme de
gouvernement, si vicieuse en elle-même, le devient
plus encore par deux causes :
1er/
L'Assemblée, par le moyen de ses Comités,
excède à tout moment les bornes qu'elle s'est
prescrites ; elle s'occupe d'affaires qui tiennent
uniquement à l'administration intérieure du
royaume et à celle de la Justice, et cumule ainsi
tous les pouvoirs. Elle exerce même par son
Comité des Recherches, un véritable despotisme
plus barbare et plus insupportable qu'aucun de ceux dont
l'histoire ait jamais fait mention.
2°/ Il s'est
établi dans presque toutes les villes, et même
dans plusieurs bourgs et villages du Royaume, des
associations connues sous le nom des Amis de la
Constitution : contre la teneur des décrets,
elles ne souffrent aucune autre qui ne soit pas
affiliée avec elles, ce qui forme une immense
corporation plus dangereuse qu'aucune de celles qui
existaient auparavant. Sans y être autorisées,
mais même au mépris de tous les décrets,
elles délibèrent sur toutes les parties du
gouvernement, correspondent entre elles sur tous les objets,
font et reçoivent des dénonciations, affichent
des arrêtés, et ont pris une telle
prépondérance que tous les corps adminitratifs
et judiciaires, sans en excepter l'Assemblée
nationale elle-même, obéissent presque toujours
à leurs ordres. Le Roi ne pense pas qu'il soit
possible de gouverner un royaume d'une si grande
étendue et d'une si grande importance que la France
par les moyens établis par l'Assemblée
nationale tels qu'ils existent à présent. Sa
Majesté, en accordant à tous les
décrets indistinctement une sanction qu'elle savait
bien ne pas pouvoir refuser, y a été
déterminée par le désir d'éviter
toute discussion que l'expérience lui avait appris
être au moins inutile; elle craignait de plus qu'on ne
pensât qu'elle voulût retarder ou faire manquer
les travaux de l'Assemblée nationale à la
réussite desquels la nation prenait un si grand
intérêt. Elle mettait sa confiance dans les
gens sages de cette Assemblée qui reconnaissaient
qu'il était plus aisé de détruire un
gouvernement que d'en reconstruire un sur des bases toutes
différentes, et qui avaient plusieurs fois senti la
nécessité, lors de la révision
annoncée des décrets, de donner une force
d'action et de coaction nécessaire à tout
gouvernement ; ils reconnaissent aussi l'utilité
d'inspirer pour ce gouvernement et pour les lois qui doivent
assurer la prospérité et l'état de
chacun, une confiance telle qu'elle ramenât dans le
royaume tous les citoyens que le mécontentement dans
quelques-uns, et dans la plupart la crainte pour leur vie ou
pour leur propriété, ont forcés de
s'expatrier.
Mais plus
l'Assemblée approche du terme de ses travaux, plus on
voit les gens sages perdre de leur crédit, plus les
dispositions qui ne peuvent mettre que de la
difficulté et même de l'impossibilité
dans la conduite du gouvernement, et inspirer pour lui de la
méfiance et de la défaveur, augmentent tous
les jours. Les autres règlements, au lieu de jeter un
baume salutaire sur les plaies qui saignent encore dans
plusieurs provinces, ne font qu'accroître les
inquiétudes et aigrir les mécontentements.
L'esprit des Clubs domine tout et envahit tout, les mille
journaux et pamphlets calomniateurs et incendiaires qui se
répandent journellement ne sont que leurs
échos, et préparent les esprits de la
manière dont ils veulent les conduire.
L'Assemblée nationale n'a jamais osé
remédier à cette licence bien
éloignée d'une vraie liberté; elle a
perdu son crédit et même la force dont elle
aurait besoin pour revenir sur ses pas et changer ce qui lui
paraîtrait bon à être corrigé. On
voit par l'esprit qui règne dans les Clubs, et la
manière dont ils s'emparent des nouvelles
assemblées primaires, ce qu'on doit attendre
d'eux ; et s'ils laissent apercevoir quelques
dispositions à revenir sur quelque chose, c'est pour
détruire les restes de la royauté que les
premiers décrets ont laissé subsister, et
établir un gouvernement métaphysique et
philosophique impossible dans son
exécution.
Français, est-ce
là ce que vous attendiez en envoyant vos
représentants à l'Assemblée
nationale ? Désiriez-vous que l'anarchie et le
despotisme des Clubs remplaçât le gouvernement
monarchique sous lequel la nation a prospéré
pendant quatorze cents ans ? Désiriez-vous voir
votre Roi comblé d'outrages et privé de sa
liberté pendant qu'il ne s'occupait que
d'établir la
vôtre ?
L'amour pour ses rois
est une des vertus des Français, et Sa Majesté
en a reçu personnellement des marques trop touchantes
pour pouvoir jamais les oublier. Les factieux sentaient bien
que tant que cet amour subsisterait, leur ouvrage ne
pourrait jamais s'achever. Ils sentirent également
que pour l'affaiblir, il fallait, s'il était
possible, anéantir le respect qui l'a toujours
accompagné ; et c'est la source de tous les
outrages que le Roi a reçus depuis deux ans, et de
tous les maux qu'il a soufferts. Sa Majesté n'en
retracerait pas ici l'affligeant tableau si elle ne voulait
faire connaître à ses fidèles sujets
l'esprit de ces factieux qui déchirent le sein de la
patrie en feignant de vouloir la
régénérer.
Ils profitèrent
de l'espèce d'enthousiasme où l'on
était pour M. Necker, pour lui procurer sous les yeux
mêmes du Roi un triomphe d'autant plus éclatant
que dans le même instant les gens qu'ils avaient
soudoyés pour cela affectèrent de ne faire
aucune attention à la présence du Roi.
Enhardis par ce premier essai, ils osèrent dès
le lendemain, à Versailles, faire insulter M.
l'archevêque de Paris, le poursuivre à coup de
pierres, et mettre sa vie dans le plus grand danger. Lorsque
l'insurrection éclata dans Paris, un courrier que le
Roi avait envoyé fut arrêté,
publiquement fouillé, et les lettres du Roi
même furent ouvertes. Pendant ce temps
l'Assemblée nationale semblait insulter à la
douleur de Sa Majesté en ne s'occupant qu'à
combler de marques d'estime ces mêmes ministres dont
le renvoi a servi de prétexte à
l'insurrection, et que depuis elle n'a pas mieux
traités pour cela. Le Roi s'étant
déterminé à aller porter lui-même
des paroles de paix dans la capitale, des gens
apostés sur toute la route eurent grand soin
d'empêcher ces cris de vive le Roi si naturels aux
Français, et les harangues qu'on lui fit, loin de
porter l'expression de la reconnaissance, ne furent remplies
que d'une ironie amère.
Cependant on
accoutumait de plus en plus le peuple au mépris de la
royauté et des lois : celui de Versailles
essayait de pendre deux houzards à la grille du
château, arrachait un parricide au supplice,
s'opposait à l'entrée d'un détachement
de chasseurs destiné à maintenir le bon ordre,
tandis qu'un énergumène faisait publiquement
au Palais Royal la motion de venir enlever le Roi et son
fils, de les garder à Paris, et d'enfermer la Reine
dans un couvent, et que cette motion, loin d'être
rejetée avec l'indignation qu'elle aurait dû
exciter, était applaudie. L'Assemblée de son
côté, non contente de dégrader la
royauté par ses décrets, affectait du
mépris même pour la personne du Roi, et
recevait d'une manière qu'il est impossible de
qualifier convenablement, les observations du Roi sur les
décrets de la nuit du 4 au 5
août.
Enfin arrivèrent
les journées du 5 au 6 octobre : le récit
en serait superflu, et Sa Majesté l'épargne
à ses fidèles sujets ; mais elle ne peut
pas s'empêcher de faire remarquer la conduite de
l'Assemblée pendant ces horribles scènes. Loin
de songer à les prévenir ou du moins à
les arrêter, elle resta tranquille et se contenta de
répondre à la motion de se transporter en
corps chez le Roi, que cela n'était pas de sa
dignité.
Depuis ce moment,
presque tous les jours ont été marqués
par de nouvelles scènes plus affligeantes les unes
que les autres pour le Roi, ou par de nouvelles insultes qui
lui ont été faites. A peine le Roi
était-il aux Tuileries qu'un innocent fut
massacré, et sa tête promenée dans Paris
presque sous les yeux du Roi. Dans plusieurs provinces, ceux
qui paraissaient attachés au Roi ou à la
Couronne, ont été persécutés,
plusieurs même ont perdu la vie sans qu'il fut
possible au Roi de faire punir les assassins, ou même
d'en témoigner de la sensibilité. Dans le
jardin même des Tuileries, tous les
députés qui ont parlé contre le Roi ou
contre la religion &emdash; car les factieux dans leur rage
n'ont pas plus respecté l'autel que le trône
&emdash; ont reçu les honneurs du triomphe, pendant
que ceux qui pensent différemment y sont à
tout moment insultés, et leur vie même est
continuellement menacée.
A la
fédération du 14 juillet 1790,
l'Assemblée, en nommant le Roi par un décret
spécial pour en être le chef, s'est
montrée par là penser qu'elle aurait pu en
nommer un autre. A cette même cérémonie,
malgré la demande du Roi, la famille royale a
été placée dans un endroit
séparé de celui qu'il occupait, chose
inouïe jusqu'à présent. &emdash; C'est
pendant cette fédération que le Roi a
passé les moments les plus doux de son séjour
à Paris ; elle s'arrête avec complaisance
sur le souvenir des témoignages d'attachement et
d'amour que lui ont donné les gardes nationaux de
toute la France rassemblés pour cette
cérémonie &emdash;.
Les ministres du Roi,
ces mêmes ministres que l'Assemblée avait
forcé le Roi de rappeler, ou dont elle avait applaudi
la nomination, ont été contraints, à
force d'insultes et de menaces, de quitter leurs places,
excepté un.
Mesdames, tantes du
Roi, et qui étaient restées constamment
près de lui, déterminées par un motif
de religion, ayant voulu se rendre à Rome, les
factieux n'ont pas voulu leur laisser la liberté qui
appartient à toute personne, et qui est
établie par la déclaration des droits de
l'homme. Une troupe, poussée par eux, s'est
portée vers Bellevue pour arrêter Mesdames. Le
coup ayant été manqué par leur prompt
départ, les factieux ne se sont pas
déconcertés, ils se sont portés chez
Monsieur sous prétexte qu'il voulait suivre l'exemple
de Mesdames ; et quoiqu'ils n'aient recueilli de cette
démarche que le plaisir de lui faire une insulte,
elle n'a pas été tout à fait perdue
pour leur système. Cependant, n'ayant pu faire
arrêter Mesdames à Bellevue, ils ont
trouvé les moyens de les faire arrêter à
Arnay-le-Duc, et il a fallu des ordres de l'Assemblée
nationale pour les laisser continuer leur route, ceux du Roi
ayant été méprisés. A peine la
nouvelle de cette arrestation était-elle
arrivée à Paris, qu'ils ont essayé de
faire approuver par l'Assemblée nationale cette
violation de toute liberté ; mais leur coup
ayant manqué, ils ont excité un
soulèvement pour contraindre le Roi à faire
revenir Mesdames. Mais la bonne conduite de la Garde
nationale &emdash; dont le Roi s'est empressé de lui
témoigner sa satisfaction &emdash; ayant
dissipé l'attroupement, ils recoururent à
d'autres moyens.
Il ne leur avait pas
été difficile d'observer qu'au moindre
mouvement qui se faisait sentir, une grande quantité
de fidèles sujets se rendait aux Tuileries et formait
une espèce de bataillon capable d'en imposer aux
malintentionnés. Ils excitèrent une
émeute à Vincennes, et firent courir à
dessein le bruit que l'on se servirait de cette occasion
pour se porter aux Tuileries, afin que les défenseurs
du Roi pussent se rassembler comme ils l'avaient
déjà fait, et qu'on pût dénaturer
leurs intentions aux yeux de la Garde nationale en leur
prêtant les projets des forfaits mêmes contre
lesquels ils s'armaient. Ils réussirent si bien
à aigrir les esprits que le Roi eut la douleur de
voir maltraiter sous ses yeux, sans pouvoir les
défendre, ceux qui lui donnaient les plus touchantes
preuves de leur attachement. Ce fut en vain que Sa
Majesté leur demanda elle-même les armes qu'on
avait rendues suspectes ; ce fut en vain qu'ils lui
donnèrent cette dernière marque de leur
dévouement, rien ne put ramener ces esprits
égarés qui poussèrent l'audace
jusqu'à se faire livrer et briser ces mêmes
armes dont le Roi s'était rendu
dépositaire.
Cependant le Roi ayant
été malade, se disposait à profiter des
beaux jours du printemps pour aller à Saint-Cloud,
comme il y avait été l'année
dernière une partie de l'été et de
l'automne. Comme ce voyage tombait dans la Semaine Sainte,
on osa se servir de l'attachement connu du Roi pour la
religion de ses Pères pour animer les esprits contre
lui ; et dès le dimanche au soir, le Club des
Cordeliers se permit de faire afficher un
arrêté dans lequel le Roi lui-même
était dénoncé comme réfractaire
à la loi. Le lendemain Sa Majesté monta en
voiture pour partir, mais arrivée à la porte
des Tuileries, une foule de peuple parut vouloir s'opposer
à son passage. Et c'est avec bien de la peine qu'on
doit dire ici que la Garde nationale, loin de
réprimer les séditieux, se joignit à
eux et arrêta elle-même les chevaux. En vain M.
de La Fayette fit-il tout ce qu'il put pour faire comprendre
à cette Garde l'horreur de la conduite qu'elle
tenait, rien ne put réussir. Les discours les plus
insolents, les motions les plus abominables retentissaient
aux oreilles de Sa Majesté ; les personnes de sa
Maison qui se trouvaient là s'empressèrent de
lui faire au moins un rempart de leurs corps si les
intentions qu'on ne manifestait que trop venaient à
s'exécuter. Mais il fallait que le Roi bût le
calice jusqu'à la lie ; ses fidèles
serviteurs lui furent arrachés avec violence. Enfin,
après avoir enduré pendant une heure trois
quarts tous ces outrages, Sa Majesté fut contrainte
de céder et de rentrer dans sa prison, car
après cela on ne saurait appeler autrement son
palais.
Son premier soin fut
d'envoyer chercher le directoire du département,
chargé par état de veiller à la
tranquillité et à la sûreté
publique, et de l'instruire de ce qui venait de se passer.
Le lendemain, elle se rendit elle-même à
l'Assemblée nationale pour lui faire sentir combien
cet événement était contraire
même à la nouvelle constitution. De nouvelles
insultes furent tout le fruit que le Roi retira de ces deux
démarches ; il fut obligé de consentir
à l'éloignement de sa Chapelle et de la
plupart de ses grands officiers, et d'approuver la lettre
que son ministre a écrite en son nom aux Cours
Étrangères, enfin d'assister le jour de
Pâques à la messe du nouveau curé de
Saint-Germain-l'Auxerrois.
D'après tous ces
motifs, et l'impossibilité où le Roi se trouve
à présent d'opérer le bien et
d'empêcher le mal qui se commet, est-il
étonnant que le Roi ait cherché à
recouvrer sa liberté et à se mettre en
sûreté avec sa
famille ?
Français, et
vous surtout Parisiens, vous habitants d'une ville que les
ancêtres de Sa Majesté se plaisaient à
appeler la bonne ville de Paris, méfiez-vous des
suggestions et des mensonges de vos faux amis, revenez
à votre Roi, il sera toujours votre père,
votre meilleur ami. Quel plaisir n'aura-t-il pas d'oublier
toutes ses injures personnelles, et de se revoir au milieu
de vous lorsqu'une Constitution qu'il aura acceptée
librement fera que notre sainte religion sera
respectée, que le gouvernement sera établi sur
un pied stable et utile par son action, que les biens et
l'état de chacun ne seront plus troublés, que
les lois ne seront plus enfreintes impunément, et
qu'enfin la liberté sera posée sur des bases
fermes et inébranlables.
A Paris, le
20 juin 1791, Louis.
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